À l’heure où la place Gambetta s’est embellie avec l’arrivée d’un jardin urbain en cœur de ville, comment ne pas profiter de ce bel événement pour remettre en lumière l’un des monuments qui a su laisser une empreinte remarquable dans l’histoire de notre cité castelroussine ?

Un théâtre à l’italienne 

Au début des années 1830, une idée fait son chemin dans la tête d’un castelroussin. Pourquoi ne pas construire un édifice permettant à la population d’avoir accès à des représentations et des divertissements ? Grâce au mécénat d’Henri-Louis Douard de Saint Cyran, maire de Niherne et riche propriétaire foncier castelroussin et indrien, le théâtre du même nom voit le jour au bout de la promenade d’Orléans, aujourd’hui Place Gambetta. De style néo-classique, ce majestueux édifice offre à Châteauroux un théâtre à l’italienne comme il en existe dans de très nombreuses grandes villes du royaume de France. Le théâtre est édifié grâce à la cession d’un terrain à la ville par Monsieur Douard de Saint-Cyran qui finance l’intégralité des travaux. Des boutiques sont créées sur les flancs de l’édifice afin de rentabiliser l’investissement colossal que représente le théâtre. Pierre Murisson, alors architecte départemental orchestre l’avancée de l’ouvrage durant presque deux années. Le théâtre se dévoile peu à peu à la population entre la rue du Bombardon, du nom de la rivière souterraine qui s’écoule sous le théâtre et la place du marché aux oies. En 1832, le théâtre est inauguré en présence de l’élite castelroussine qui se presse aux portes de l’édifice. Ce lieu se révèle être une véritable ouverture culturelle pour la population qui compte 9000 habitants à cette époque.

Les temps forts du théâtre 

Très vite, des troupes ambulantes viennent se produire à Châteauroux. Des chanteurs, des saltimbanques, des montreurs d’animaux savants ou encore des équilibristes viennent s’adonner à des représentations de pitrerie pour le plus grand bonheur des habitants. Les troupes et les comédiens se multiplient afin de proposer un répertoire qui oscille entre la comédie et la tragédie. Mademoiselle Rachel, sociétaire de la Comédie Française se rend au théâtre afin d’y interpréter « Phèdre » de Racine dans les années 1840. Cet intérêt du théâtre pour les troupes parisiennes évolue grandement avec l’arrivée du chemin de fer en 1847. Les représentations sont de plus en plus nombreuses mais s’arrêtent brutalement en 1865, lorsque l’édifice est touché par un incendie. Il faut attendre 1885 pour que Jules Grévy, alors Président de la République donne son autorisation à la ville de racheter le théâtre 80 000 francs et de lancer officiellement sa rénovation. C’est l’architecte Camille Létang qui est chargé des travaux afin de moderniser et agrandir l’édifice. Des sculptures de Girault-Dupin sont ajoutées, tout comme les armes de la ville sur les hauteurs du théâtre. La façade est composée de trois verrières et quatre colonnades soulignées par un balcon. Au rez-de-chaussée, trois grandes portes d’entrée permettent de faciliter l’accès des spectateurs. Un second souffle est donné à l’édifice et les représentations peuvent reprendre avec une décoration intérieure remise à neuf, toujours dans un style de théâtre à l’italienne avec des rideaux drapés de couleur rouge, un plafond décoré par des artistes ayant travaillés à l’Opéra de Paris, un escalier monumental permettant d’accéder au balcon et aux loges. L’éclairage au gaz est installé et permet une lumière plus confortable pour les comédiens.

Les spectacles reprennent en 1889, le théâtre accueille des cabarets comme le « Pierrot noir » qui connait le succès. Le « Chat noir » de Rodolphe Salis se produit également et remporte un franc triomphe au sein du théâtre castelroussin. En 1910, c’est au tour de Sarah Bernhardt de venir compléter la liste déjà très importante des artistes renommés ayant fait un passage à Châteauroux. Elle s’y produit lors d’une représentation de la Dame aux Camélias. Son passage marque sans nul doute les heures de gloire du théâtre Saint-Cyran. 

Durant la Première Guerre mondiale, les troupes se produisent moins et le théâtre connaît des heures plus sombres. Néanmoins, des soirées de gala sont organisées au profit des hôpitaux, des orphelins et des blessés de guerre. Le théâtre devient alors un lieu de charité et de solidarité. 

Il faut attendre les années 20-25 pour que les castelroussins retrouvent le chemin du théâtre et le goût de la distraction. Le cinéma fait son apparition dans les provinces et le théâtre connaît pour la première fois une concurrence importante. « L’Olympia » créé en 1907, rue de la gare, « L’Apollo » en 1920, près de l’Église Saint André, et « l’Alhambra » en 1923, rue Gutenberg, sont de plus en plus fréquentés par la population délaissant un peu le théâtre. Le théâtre doit donc se diversifier et proposer des représentations différentes. En 1922, les premières revues font leur apparition au théâtre Saint-Cyran. Les concerts, les auditions, les récitals vont être programmés au sein du bâtiment.

Dans les années 1940, un groupe de castelroussins passionnés de théâtre créent les Tréteaux du Bombardon pour venir en aide aux soldats. Ils organisent alors des sketchs, des scénettes, des chansons ou encore des poèmes à partir du répertoire berrichon. Dans la salle, les rires sont présents et la gaieté permet d’oublier le contexte de l’époque. Le théâtre sert également de lieu de conférence comme cela fut le cas en 1947, lorsque Aurore Lauth Sand, petite fille de George Sand, loue le théâtre afin d’y organiser une conférence dédiée à sa grand-mère et à Frédéric Chopin, en présence du chanteur guitariste Vincente Santaolaria et du pianiste Roger de Garate. 

Une culture pour tous 

Les soirées au théâtre Saint-Cyran sont l’occasion pour la population de se retrouver en robe de soirée et bijoux pour les dames, en frac noir, gants blancs et haut de forme pour les messieurs. Les officiers sont également nombreux à venir au théâtre pour se divertir. Le théâtre est fréquenté par les notables, les bourgeois mais aussi les ouvriers et les petits gens qui peuvent aisément s’offrir un billet pour une représentation dans le « poulailler » sur les hauteurs du théâtre moyennant une somme modique. Personne n’est épargné par ce phénomène théâtral et culturel qui enivre la cité castelroussine. 

Le mystère du bombardon 

La rivière souterraine « Le Bombardon », coule sous le théâtre Saint-Cyran jusqu’aux jardins de la Préfecture, qui se jette ensuite dans la rivière Indre, n’a pas donné uniquement son nom à une troupe de comédiens dans les années 1940 : les tréteaux du Bombardon. Elle a également donné une singularité à ce théâtre. En effet, la présence souterraine d’une rivière améliorerait considérablement l’acoustique de la salle. Le théâtre bénéficiait donc d’un avantage de taille, propice à sa très belle réputation. Il fait nul doute que cet atout aura favorisé la venue de nombreux artistes. 

Un théâtre dangereux et insalubre 

En 1951, le théâtre est fermé car sa dangerosité et son insalubrité sont avérées. Usé par le temps et l’absence de travaux réguliers, la ville le vend aux enchères en 1957. Cette vente s’effectue contre l’avis des castelroussins très attachés à l’édifice et à ce qu’il représente en terme d’ouverture culturelle. La toiture est enlevée, les matériaux du théâtre sont mis en vente ou récupérés par des habitants désireux de conserver un peu de ce lieu emblématique. 

L’apparition du building

Loin de laisser un trou béant dans le paysage castelroussin, le théâtre est remplacé quelques mois après sa destruction par un bâtiment moderne de 14 étages. Le building, qui trône toujours au bout de la place Gambetta fait son apparition pour loger les familles américaines stationnant à la base de Déols et à la Martinerie. La culture ne disparaît pas pour autant du cœur des habitants. La salle Racine construite en 1936, prendra le relais et proposera, à son tour, de très nombreux spectacles pour le plus grand plaisir des castelroussins.